Par Pascale Girard
Image de haut de page: La Consolation, huile sur toile de Lucien Hector Jonas (1880-1947), date inconnue.
C’est ce matin, le panier au bras et à peine descendue de ma bicyclette pour faire mon marché que la nouvelle me parvient. Nous venons de perdre Jean-Pierre Berrié, directeur de l’école de musique de Castelsarrasin et Membre d’Honneur de l’association Sebastian Lee. Toutes les lèvres murmurent son nom sur la petite place, tous les cœurs se serrent, tous les yeux se mouillent, la ville est orpheline d’un éminent membre de sa communauté et entre dans un profond deuil alors qu’on lui a arraché si subitement son bon Maitre de musique. Chef d’orchestre, professeur, administrateur, Jean-Pierre Berrié a mis un point d’honneur à gérer l’école de musique de la ville de Castelsarrasin avec la plus grande bienveillance. Animé par une passion sans borne pour la musique et son apprentissage, il n’a eu de cesse de la promouvoir et d’encourager sa pratique à tous âges.
Alors que je prenais des cours de violoncelle dans son école, j’ai eu l’occasion de le côtoyer d’abord lors de mon inscription. Je l’avais trouvé bien avenant et très approchable; très différent de ce que la fonction de directeur et son prestige induisent parfois chez les personnes peu sûres d’elles. Chez Jean-Pierre, aucune arrogance, au contraire, la certitude d’être à sa place et de se donner à fond pour une cause à laquelle on croit: la musique. De cette rencontre sympathique mais superficielle, il y eu pourtant une suite. Alors que je traversais des difficultés personnelles desquelles je n’arrivais pas à me sortir, ma pratique musicale à la maison s’est trouvée compromise, à mon grand désarroi. Jean-Pierre a accepté de me prêter une salle, quand il s’en trouvait une disponible, pour que je puisse m’entrainer à l’instrument. Pendant 3 ans, j’y venais presque tous les jours et y restais 2h ou 3h. L’école de musique était devenue ma maison de cœur. J’y rencontrais des gens affables avec qui nous partagions la même passion. La routine était toujours la même: avant de m’y mettre, je faisais un petit arrêt dans le bureau de Jean-Pierre et Maryse, à l’époque, pour un coucou. C’était l’occasion d’une petite conversation agréable, presque tout le temps autour de la musique. Quelqu’un passait et se joignait à nous. Tout cela était très charmant, bienveillant et créait une sorte de havre de paix dans ce joli bâtiment qu’est l’école de musique de Castelsarrasin.
Souvent, il passait alors que je répétais dans ma salle et me faisait un gentil commentaire : « Ah, j’ai l’impression que ça commence à venir ces triolets » ou bien « il va falloir que tu rejoignes l’orchestre bientôt, tu as tellement progressé! » Toujours un mot encourageant, toujours une phrase, un geste, un sourire qui vous réchauffe le cœur et vous motive à faire toujours mieux, à poursuivre ses efforts. La musique n’est hélas pas quelque chose d’inné. En tout cas, pas la pratique d’un instrument. Cela demande du temps, beaucoup de temps, de la patience et des efforts répétés. Au violoncelle comme sur tous les instruments, on peut se faire mal, s’abimer momentanément un poignet, un doigt, une épaule ou que sais-je encore. Je n’ai pas échappé à cette règle et ai eu mon lot de bobos plus ou moins handicapants et Jean-Pierre, qui suivait absolument tout ce qui se passait dans son école avec beaucoup d’attention et d’intérêt, m’a un jour recommandé sa chiropractrice en me disant que je pouvais venir de sa part. Ca m’avait beaucoup touché. J’avais déjà un bon maitre dédié, Mathieu, avec qui j’étudiais le violoncelle, et qui veillait à mon confort physique et à ma santé pendant la pratique, mais Jean-Pierre, de par sa bonne nature, entière et généreuse, n’hésitait jamais à donner un conseil, de sa personne et de son temps, qu’il ne comptait jamais, au bénéfice de ses ouailles.
Premier arrivé et dernier parti, j’ai souvenir de conversations après la répétition du Combo de Guillaume, prof de sax, MAO et d’harmonie. C’était le lundi soir et cela finissait aux alentours de 20h-20h30 si ma mémoire est bonne. Assez tard pour la plupart des gens. Une fois qu’il avait terminé de s’occuper de ses fonctions de directeur, il nous rejoignait parfois avec sa flûte et improvisait une partie sur un morceau de Claude Nougaro ou de Serge Gainsbourg. Je le revois des étincelles dans les yeux à terminer sa journée en pouvant enfin jouer de sa flûte. Il était touchant d’authenticité et une vraie source d’inspiration pour tout un chacun. Souvent, après la répétition du groupe, il se joignait aux quelques personnes qui aidaient à remettre la salle en place. Il fallait ranger chaises et pupitres pour que l’espace soit fonctionnel le lendemain pour un autre type d’activité. La soirée se terminait par une petite conversation sur le pas de la porte de l’école, alors qu’il tournait la clé dans la porte et qu’il semblait difficile de tous se quitter tant le moment partagé avait été agréable tous ensemble.
Ambassadeur infatigable, de mon court passage dans sa vie, je l’ai vu monter et démonter des scènes, vider et remplir son Berlingo pour transporter du matériel de l’école à l’Espace Descazeaux pour un concert. Etre Chef d’orchestre, flûtiste, manager, présentateur, gestionnaire, professeur, et tant d’autres choses. Quand j’ai commencé à m’intéresser au catalogue perdu de Sebastian Lee et à exhumer de vieilles partitions oubliées, je les montrais fièrement à Jean-Pierre qui souvent me renseignait sur la signification d’un vieux signe solfégique désuet, ou que je ne connaissais pas. Quand l’association a été montée, il m’a accompagné pour rencontrer le service Culturel de la ville et présenter le projet. Il a été soutien de la première heure, alors que tout restait à faire. Il était question d’organiser des concerts avec l’école de musique, ce qui aurait été merveilleux si ma vie n’avait pas été aussi chaotique à ce moment là. Il était prêt à me soutenir et à m’accompagner aussi loin que je souhaitais aller avec mon projet d’association Sebastian Lee. Il a donc été l’un des premiers membres d’honneur de l’association et cet implication m’a beaucoup ému, le sachant déjà très occupé. Le jour de la réunion avec le service culturel de la ville, Jean-Pierre avait cassé ses lunettes de vue. Agacé, il avait poussé un juron: « vin de dieus! » avec une voix un peu caverneuse. C’est la seule fois ou je l’ai vu un tant soit peu perdre son « cool ». D’humeur égale, c’était une personnalité joviale, franche et dynamique.
Alors que l’association comptait ses premières republications d’opus perdus, Jean-Pierre m’a un jour montré de vieilles partitions conservées dans les archives de l’école de musique. Il s’agissait d’une marche militaire, ce qui m’avait étonné. Jean-Pierre m’avait expliqué que toute l’histoire de l’école de musique de Castelsarrasin était intimement liée à la base militaire de la ville. En effet, c’est la fanfare militaire qui a fait naître l’école de musique. A l’époque, pour des raisons que je n’ai pas bien compris, s’est créé une rivalité quasi pathologique entre les vents et les cordes. De cette dichotomie sont nées 2 entités, l’association de la Lyre (qui représente les cordes) et… je ne me souviens plus de l’autre, qui représentait les cuivres. C’était une de ses rares fiertés que de les avoir réconcilié. Aujourd’hui, le conflit cordes contre cuivres n’existe plus et tous sont réunis dans la même passion de jouer de la musique ensemble.
Tant de jolis moments, tant de belles contributions et une vie qui s’arrête sans crier gare. Je pense à la famille de Jean-Pierre, sa femme et ses enfants et à la grande communauté des musiciens, amateurs comme professionnels, qui partagent cette peine, ce lourd chagrin, si soudain et si douloureux. Les yeux chargés de larmes, j’entends le son de ta flûte qui s’éloigne. Bon voyage, mon très cher Jean-Pierre, repose en paix mais saches que nous conservons ici ce supplément d’âme que tu nous a laissé en héritage. Longue vie à ta passion et à ta mémoire, car tu continues d’exister à travers chaque élève que tu as touché de ta gentillesse et de ta patience.

Jean-Pierre Berrié officiant en tant que Chef d’orchestre au milieu des élèves de l’école de musique de Castelsarrasin.
Compte tenu de l’importance de l’impact du travail et de la personnalité de Jean-Pierre Berrié sur un très grand nombre de personnes durant ses longues années d’office à l’école de musique de Castelsarrasin, j’aimerai proposer un hommage durable à sa mémoire et qui représenterait l’empreinte que sa vie a laissé dans cette communauté. Je souhaite demander qu’on renomme la rue du Collège rue Jean-Pierre Berrié. C’est la rue de l’école de musique et de cette façon, il restera toujours un peu avec nous physiquement. Si des personnes veulent se joindre à ma demande auprès du Conseil Municipal, contactez-moi via la page de contact du site ou la messagerie Facebook. Merci d’avance pour lui.
Notes
